PAROLES DE BON SENS
de commentateurs juifs et arabes français.

  "On en est arrivé à confondre la signification mystique que revêt la terre
d'Israël dans le judaïsme avec une revendication territoriale qui n'a plus rien à
voir avec la sécurité. Israël est aujourd'hui le seul endroit du monde où les juifs
sont menacés physiquement en tant que tels .....

En votant à l'ONU en 1947 le partage de la Palestine qui attribuait environ 60% du
territoire à la minorité juive et 40% à la majorité arabe, Le Monde occidental
voyait là un moyen de se racheter après la catastrophe du génocide. A cela
s'ajoutaient la mentalité coloniale de l'époque et son mépris à l'égard des
populations indigènes. Le Monde occidental semblait faire sienne l'idée sioniste
selon laquelle les juifs sont partout en transit, à l'exception de ce bout de terre
qu'ils revendiquaient et qui leur était désormais attribué. Les Arabes refusèrent ce
partage inégal. Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, ils ne s'en tinrent
pas à un simple rejet. Le représentant du Haut Comité arabe pour la Palestine avait
proposé le projet d'un Etat binational. Et la communauté des nations est restée
sourde à diverses propositions d'un plan pour un Etat fédéré.

Le territoire de la Palestine historique (Israël, territoires occupés et zones
autonomes) comporte aujourd'hui environ 4 millions de Palestiniens et 5 millions de
juifs. La question du droit au retour des réfugiés palestiniens expulsés en 1948
ajoute une complexité supplémentaire au dénouement du conflit. Comment faire
accepter à un Palestinien né à Jaffa qu'il n'a pas le droit d'y revenir, alors qu'un
juif né à Paris peut, lui, s'y installer? Dans cette logique, le partage de la terre
et la séparation entre Israéliens et Palestiniens semble s'imposer. Mais, à moins
d'envisager un nouveau transfert de populations, il semble impossible de dessiner
des frontières vivables entre des communautés aussi imbriquées sur le terrain. Le
partage est aussi illusoire que la croyance, pour "corriger" la donne démographique,
en une grande vague d'immigration juive qui serait provoquée par la résurgence de
l'antisémitisme en Occident."
Eyal Sivan
La dangereuse confusion des juifs de France, Point de Vue, 7 décembre 2001



"La création d'Israël, plus récente, a été accompagnée, sous les yeux indifférents
du monde occidental et soviétique, par l'exode forcé de centaines de milliers de
Palestiniens. Aujourd'hui, ces réfugiés et leurs descendants ne remettent pas en
cause l'existence de l'Etat d'Israël dès lors que l'injustice subie sera reconnue et
que la mise en pratique de leurs droits sera équitablement négociée.
Contentons-nous de rappeler l'évidence : depuis juin 1967, la Cisjordanie et la
bande de Gaza sont territoires occupés, dominés, écrasés politiquement, socialement,
économiquement. En dépit de cela, la résistance palestinienne a solennellement
reconnu l'existence de l'Etat hébreu et entamé à Oslo un processus de paix, tandis
que l'Etat d'Israël reconnaissait les Palestiniens représentés par l'OLP et son
chef, Yasser Arafat.

Ce processus n'a pas abouti.

Du côté palestinien, s'alimentant de la frustration grandissante de la population
occupée, une aile s'est détachée, pratiquant une politique de la terreur et de la
mort qui nous fait horreur.

Du côté israélien, en dépit du processus, la colonisation s'est développée sur une
échelle considérable, réduisant les territoires palestiniens prétendument autonomes
comme une peau de chagrin traversée de "routes de contournement".

Aujourd'hui, deux terreurs s'alimentent l'une par l'autre. Le terrorisme
palestinien, tout à fait minoritaire au temps d'Itzhak Rabin, a pris une dimension
dramatique. Mais la riposte israélienne, avec ses "liquidations extra-judiciaires",
est en un sens plus dramatique encore. Elle s'apparente aujourd'hui à la destruction
du peuple lui-même en tant qu'il était structuré et organisé.

Comme tout terrorisme d'Etat, elle est surtout contradictoire. Hier, on demandait à
Yasser Arafat de faire la police dans l'espace qu'il était censé contrôler tout en
détruisant les instruments de son pouvoir. Aujourd'hui, on l'isole totalement en
cachant à peine la volonté de le faire partir.

L'exploitation immédiatement faite par Ariel Sharon des massacres du 11 septembre
est un signe qui ne saurait tromper. Sharon a comparé Arafat à Ben Laden et au
mollah Omar réunis. A qui croit-il donc ressembler, sinon au responsable des
massacres de Sabra et Chatila ?"
Elias Sanbar et Pierre Vidal-Naquet
Israël-Palestine : contre tout espoir, Point De Vue,16 décembre 2001




"On a toutefois le droit d'être convaincu que Bensaïd, Vidal-Naquet et Morin pensent
radicalement faux, et de s'interroger sur l'étrange cheminement qui conduit ces
compagnons de route des principaux mouvements de libération nationale du XXe siècle
à dénier au peuple juif, et à lui seul, le droit, légitime pour tout autre, à
disposer d'un Etat. Mais ce débat académique n'est plus de mise depuis la conférence
de Durban contre le racisme."
Maurice Szafran
Diabolisation politique, Le Monde, 17 décembre 2001

C'est le type de discours malhonnête qui nuit, qui ne favorise pas la
compréhension mutuelle. Le droit légitime à disposer d'un Etat n'est pas nié à
Israël, voyons donc. C'est malhonnête d'équarrir ainsi la réflexion de l'adversaire.
C'est malhonnête parce que ça permet de se soustraire à l'obligation de se
questionner soi-même, de reconnaitre en toute lucidité que le début à toute base de
négociation, c'est d'abord que la justice soit faite. Seulement ensuite on pourra
négocier. Les Israéliens sont d'accord avec ça, mais ils combattent l'injustice du
terrorisme par du terrorisme autorisé. C'est l'Etat qui agit, qui se défend.
Mensonge, Israël entretient la haine à combattre. Que les colons rentrent chez eux,
d'abord, que les Israéliens admettent enfin l'inhumanité de s'approprier les terres
d'autrui, de coloniser. N'est-il pas évident que les extrémistes palestiniens
continueront le terrorisme tant que cette justice élémentaire là n'adviendra pas? Ce
n'est pas approuver leurs gestes que de constater cela, c'est être lucide.

"Renonçons à user du génocide comme d'un argument politique. Israël et la Palestine
sont en guerre, des deux côtés il y a agresseurs et victimes. Mais est-ce nier la
légitimité de l'existence d'Israël que de ne pas approuver la politique de son
gouvernement actuel ? Ne cédons pas à la facilité de la diabolisation et de
l'étiquetage simpliste. La presse généraliste vit dans la hantise de passer pour
antisémite. Elle ouvre ses colonnes aux inquiétudes de la communauté
institutionnelle et hésite parfois à se faire l'écho de critiques ou de
questionnements émanant même de juifs authentiques, mais indépendants. La presse
juive, de son côté, est souvent tentée de faire obstacle à l'expression de toute
pensée qui pourrait ébranler les lieux communs dont elle vit. Ces juifs-là sont vite
taxés de crypto-révisionnisme ou de haine juive de soi. Et à la peur des ennemis de
l'extérieur vient se conjuguer celle des traîtres de l'intérieur."

Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa
Nous ne sommes pas des victimes, Le Monde, 17 décembre 2001